Album enregistré en 1995
Welcome Gorby Il est pas né le mec qui m'f'ra Dire qu'j'ai d'la tendresse pour les rois Ou pour les chefs Z'ont tous mérité dans l'histoire Les foudres de mon encre noire Mais Gorbatchev Est un p'tit bonhomme épatant Contre qui je n'ai pour l'instant Aucun grief Personne méritait plus que lui L'prix Nobel de la pénurie Et de la dèche Welcome Gorby, bienv'nue ici Où on est quelques-uns, je crois Un copain à moi et pi moi A espérer Qu'tu vas v'nir avec tes blindés Nous délivrer T'as fait tomber le mur de Berlin Si tu sais pas quoi faire des parpaings Pour ta gouverne Y'a d'la place ici, mon pépère Autour de tous les ministères Toutes les casernes ça évit'ra qu'le populo Un jour nous pende tous ces barjots A la lanterne Quoiqu' pour une fois ça s'rait justice De contempler ces pauvres sinistres La gueule en berne Ici y'a des chaînes à briser Commence par les chaînes de la télé Ca serait Byzance Que tu nous débarrasses un peu De ce "Big Brother" de mes deux J'te fais confiance Tu pourras aussi liquider Les radios FM à gerber Qui nous balancent De nos chanteurs hydrocéphales Et de leur poésie fécale Toute l'indigence Welcome Gorby, bienv'nue ici Où on est quelques-uns, je crois Un copain à moi et pi moi A espérer Qu'tu vas v'nir avec ton armée Tout balayer Tu peux construire, si tu t'amènes Quelques goulags au bord de la Seine De toute urgence Ici y'a un paquet d'nuisibles Qui nous font péter les fusibles De la conscience Des BHL et des Foucault Pas l'philosophe, non, l'autre idiot Des Dorothées Fort sympathiques au demeurant Je dirais plus exactement Aux demeurés Welcome Gorby, bienv'nue ici Où on est quelques-uns, je crois Un copain à moi et pi moi A espérer Qu'tu vas v'nir claquer l'beignet A tous ces tarés On a ici, c'est bien pratique Quelques hôpitaux psychiatriques Qu'tu peux vider Pour y foutre les psychanalystes Les députés, les journalistes Et les Musclés Ca va te faire un sacré boulot Mais si tu veux des collabos Faut pas t'miner Tu sais, à part dans mon public En chaque français sommeille un flic T'as qu'à piocher Si t'en as marre du communisme J'te raconte pas l'capitalisme Comme c'est l'panard Comment on est manipulés, Intoxiqués, fichés, blousés Par ces connards Viens donc contempler nos idoles Elles sont un peu plus Rock and Roll Que ton Lénine Bernard Tapie et Anne Sinclair 'vec ça tu comprends qu'notr'misère Soit légitime Welcome Gorby, bienv'nue ici Où on est quelques-uns, je crois Un copain à moi et pi moi A espérer Qu'tu vas v'nir éliminer Nos enfoirés Welcome Gorby, bienv'nue ici Où on est quelques-uns, je crois Un copain à moi et pi moi A supposer Qu'si tu v'nais avec tes blindés Y voudraient sûr'ment pas rester ...
Toute seule à une table Toute seule à une table Si c'est pas gâché T'es encore mettable Pas du tout fanée T'as quoi? Quarante-cinq? Allez cinquante balais Tu fais beaucoup moins qu' Ta montre, ton collier Ça fait bien une plombe Que j'te mate en douce Dans c'resto plein d'monde Que tu éclabousses De ce charme obscur Qui parfois nous pousse Vers les femmes mûres Et aussi les rousses Toute seule à une table Si c'est pas gâché T'as les yeux du diable Pi t'as l'air gaulée Comme un château d'sable Avant la marée Comme un dirigeable Avant les pompiers C'est pas un lapin Qu'on t'aurait posé Tu r'gard'rais tes mains Et la porte fermée Tu boirais du vin Tu s'rais maquillée T'attends p't'être un chien Pas un fiancé Toute seule à une table Si c'est pas gâché Belle et misérable Quel est ton secret Derrière le rideau De tes yeux baissés Quel est le salaud Qui te fait pleurer A la façon qu't'as D'jamais m'regarder 'Mon avis c'est moi Qui t'fais chavirer Ou alors c't'un drame Trop dur à percer Comme la cellophane Autour d'un C.D. Toute seule à une table Si c'est pas gâché Et ce mec minable C'est lui qu't'attendais? Ma parole je rêve Y va t'embarquer Sans finir ton chèvre Sans boire ton café Y doit être chausseur Et toi sa vendeuse Tu regardes l'heure Et t'as l'air heureuse Si un jour j'te chope J'te l'dis dans les yeux Le malheur salope Te va beaucoup mieux!
Miss Maggie Women of the world or street So very often just the same I love every one I meet Have they fame or be they plain Down to the last stupid crow I praise with every word I utter I'm disgusted by men now With their morals from the gutter 'Cause there's no woman in this land Quite so stupid as her brother Nor so vain or underhand Except, maybe, Madame Thatcher Lady I love you now, I do 'Cause when a sport becomes a war There's no girls, or very few Amongst those fans who yell for more Those with no marbles left to lose Up to here with hate and beer Deifying fools in blue Insulting bastards with a sneer There is no female hooligan Imbecilic, filled with murder No, not even in Britain Except, for sure, Madame Thatcher I love woman just because When she's sitting at the wheel There's no man-like sense of loss No urge to kill is yours to feel For a slightly damaged headlight Or for two fingers in the air There are those who wish to fight To the death if they but dare An "up yours" their favourite sign There's no woman so vulgar To use this symbol all the time Except, perhaps, Madame Thatcher How I love you, dear woman You don't go to war to die Because the vision of a gun Does not make you pant and sigh Amongst those hunters of the night Who jump on creatures that are frail And occasionnally an Arabite I've yet to see a female There is no woman low enough To spit and polish a revolver Just to feel so bloody tough Except, for sure, Madame Thatcher The atom bomb was never made By a human female brain And no female hand has slayed Those U.S. peoples of the plain Palestinians or Armenians Bear their witness form the grave That a genocide is masculine Like a SS or a Green Beret In this bloody mass of man Each assassin is a brother There's no woman to rival them Except, of course, Madame Thatcher And lastly Woman, above all I love hour gentleness so mild A man draws strength from his own balles Wich like his gun he shoots from wild And when the final curtain draws He'll join the cretins in the harvest Playing football, playing wars Or who can piss the farthest I would join the doggic host And love my days on earth As my day to day lampost I would use Madame Thatcher.
Ourson prisonnier Un ourson en liberté c'est mignon un ourson dans la forêt c'est trognon dans les champs dans les vallons sortant du creux des buissons respirant à pleins poumons l'air de la terr' qui sent bon c'est mignon Mais quand il est enfermé même un papillon léger qui lui vole sous le nez est plus heureux que l'ourson prisonnier prisonnier Un ourson en liberté c'est mignon un ourson au bout du pré c'est trognon finissant de grignoter les noix qu'il vient de casser ou le museau barbouillé de fraises des bois écrasées c'est mignon Mais quand il est enfermé un(e) petit(e) souris pressée qui lui court entre les pieds est plus heureuse que l'ourson prisonnier prisonnier La la la... un papillon tout léger une petite souris pressée peuv'nt traverser le fossé oui mais pas le pauvre ourson prisonnier prisonnier
SIDI H' BIBI (Mon chéri) Mon chéri à moi, où est il ? Mon chéri le voilà, il ma ensorcelé, le voilà / il est là Celui qui me fait souffrir, il est là / le voilà Mon chéri, pourquoi il ma oublié Mon chéri à moi, où est il ? Je suis malade, je suis malade Mon chéri à moi, où est il ? Viens me voir, il viendra avec la grâce. Mon chéri à moi, où est il ? Mon chéri le voilà, il ma ensorcelé, le voilà Celui qui me fait souffrir, il est là / le voilà Mon chéri, pourquoi il ma oublié
Fanny de la sorgue Dans l'eau de la Sorgue Fanny Ne se baignera plus jamais La rivière pleure dans son lit Sa Fanny toute rhabilée La belle n'ira plus dans l'eau Depuis cent ans elle se cache A l'ombre d'un joli tableau Qu'un amant fit d'elle à la gouache Et c'est un bistrot désormais Qu'on peur voir dans l'angle d'un mur Le cul de Fanny dévoilé Promettant la bonne aventure Au bord de la Sorgue où Fanny S'en allait se baigner jadis Sous les platanes du midi Les boules de pétanque glissent Que je pointe oi bien que je tire Les miennes finissent dans l'herbe Je pourrais mieux faire mais faut dire Je triche un petit peu pour perdre Pour pouvoir un jour dans ma vie Honorer ces divines fesses Un genou en terre pardi Ainsi qu'on célèbre une messe Quel est le crétin misogyne Qui décréta punition Honteuse ridicule indigne Cette noble communion Cette intimité que je souhaite De mes lèvres avec ce cul Qui récompense la défaite Qui ne brille que pour les vaincus M'est avis que ce pauvre naze Dut passer sa vie à prier A genoux pour que sa bourgeoise Lui offre pareil bienfait Au Pays des Sorgues Fanny Peut se vanter d'avoir fait mettre Un genou à terre à celui Qui pour aucun dieu ou maître Nulle loi nulle discipline Qui devant nulle autorité N'aurait jamais courbé l'échine Jamais n'aurait capitulé Je me prosternerai encore Bien plus et sans honte jamais Pour un autre bout de ton corps J'irai Fanny jusqu'à ramper...
Touche pas à ma sur ! Eh bien, les filles, vous êtes toujours sur Débilos-Radio en direct avec M.C. Roger votre D.J. préféré ! Aujourd'hui, je reçois le chanteur Thomas Lameufa qui vient de faire un MALHEUUUR à Bercy et en province un carton !!! Nous allons tout de suite prendre un auditeur en ligne pourposer une queshon... Nous vous écoutons jeune homme... Vous vous appelez Renaud... Allez-y... Chanteur Gentil poli bon cur Qu'ess-ttes fait à ma p'tite sur ? Tout à l'heure J'l'ai vue pleurer toute seule En écoutant ton single D'puis qu'elle t'a découvert j'te jure Elle a déjanté la pauvre Elle découpe toutes les couvertures Des torchons où tu poses Ça m'écure Elle a dans son larfeuille Une photo d'toi en couleur Elle a un poster De toi sur ton chopper Avec un sourire de voleur D'puis qu'elle craque peur ton rock 'n' roll A la mords-moi l'tympan L'en fout plus une rame à l'école Et elle chante même en dormant Chanteur Je vais faire un malheur Si tu fais souffrir ma p'tite sur Mais qu'est-c'que c'est qu'ce naze qu'on m'a passé, là ? Oh les mecs vous déjantez ou quoi, là ? Ho Mitch ! Tu me le coupes tout de suite ! Tu le coupes ! Hein,comment ça on peut pas filtrer les appels ? On a dit qu'on prenait les questions des auditeurs, pas les agressivisations ! Hein ? Comment ça, je passe à l'antenne ? Mais non, tu m'as coupé mon micro, non Ah bon... Elle t'a vu l'autr' jour chez Pivot A l'émission sur Babar A 7 sur 7 et chez Foucault Elle t'a trouvé un peu hard Chanteur Dans douze ans ma p'tite sur Sera quasiment majeure Mais pour l'heure J'veux surtout pas qu'elle pleure D'amour pour un p'tit branleur Chanteur T'as six ans comme ma sur Qu'est-c'qu'y font tes parents, producteurs ? Eh ben dis-leur Que les pires des dealers C'est ceux qui r'fourguent leur merde aux mineurs Et bien, c'est cela, oui... Nous allons arrêter un p'tit peu les appels en direct, une petite page de pub et nous nous retrouvons dans 45 minutes pour dire au revoir à notre ami dont le dernier album, je vous le rappelle, "les couches-culottes du diable" est toujours installé aux premières places du Top Altum qu'il a squatté définitivement depuis plusieurs semaines. Nous lui souhaitons une très longue carrière, ainsi qu'à ses parents que nous recevrons d'ailleurs lundi prochain dans l'émission "Mon téléphone portable est en panne" consacrce au Cartel de SaintTropez. Vous étiez avec Super D.J. M.C. Roger en direct sur Débilos-Radio, la radio des filles et des garçons, et aussi des garçons, et puis aussi des chiens...
Le camionneur rêveur Je suis un géant sur les routes J'avale les villes comme des casse-croûte Paris-Marseille via Valence Pour un poids lourd c'est p'tit la France Moi qui aime tant la nature Je sème des hydrocarbures Sur les autoroutes à péage En attendant l'prochain garage Dans mon rétro rétroviseur Je suis bien trop bien trop rêveur Dans mon rétro rétroviseur J'imagine un'vie sans compteur Je suis un drôle de camionneur Les p'tits Poucet qui lèvent le pouce Voudraient m'arrêter dans ma course Mais le mouchard dans mon moteur N'aime pas trop les auto-stoppeurs Quand la radio joue en sourdine Souvent je rêve dans ma cabine Je plane les mains sur le volant J'oublie mon gros-cul d'éléphant Dans mon rétro rétroviseur Je suis bien trop bien trop rêveur Dans mon rétro rétroviseur J'imagine un'vie sans compteur Je suis un drôle de camionneur
Viens chez moi, j'habite chez une copine J'ai l' coeur comme une éponge Spécial pour fille en pleurs Heureus'ment pa'c'que ma tronche C'est pas vraiment une fleur J'emballe tout c' qui s' présente Les cousines les belles-soeurs J'ai l' démon du bas ventre Mon métier c'est dragueur Dès que j' rencontre une frangine J' lui dis : salut toi ça va Viens chez moi j' habite chez une copine Sur les bords au milieu c'est vrai qu' je crains un peu Je glande un peu partout Avec mon sac de couchage Je suis dans tous les coups foireux Tous les naufrages J'ai des potes qu'ont d' l'argent Ben y travaillent c'est normal Moi mon métier c'est feignant He mec t'as pas cent balles J'ai des plans des combines Pour vivre comme un pacha Hé viens chez moi j'habite chez une copine Sur les bords au milieu c'est vrai qu' je crains un peu J'ai même été étudiant Chômeur baby-sitter Quand j' pense que mes parents Voulaient qu' je sois docteur Parfois quand j'ai du blé Je flambe comme un malade L' pognon j' l'ai pas gagné Mais mon métier c'est minable Ouah super la rouquine Hé salut toi ça va Viens chez moi j'habite chez une copine Sur les bords au milieu c'est vrai qu' je crains un peu He viens chez moi j'habite chez une copine J'ai mon mat'las dans la cuisine Alors tu viens si tu veux tranquille Allez viens Viens chez moi j' habite chez une copine Allez viens la frangine Allez viens Non ah bon d'accord
P'tit dej' blues Ben voilà la galère c'est r'parti pour un tour Carrément comme hier j'suis encore à la bourre Pendant c'temps ma gonzesse doit sortir de la douche Se fringuer en vitesse et se peindre la bouche Et oublier peut-être que les yeux pleins de neige Ce matin c'est son mec qui a fait son p'tit dej' Son p'tit dej' Ben voilà la galère j'enfile ma camionette J'vais bouffer d'la poussière j'en ai déjà plein les guêtres Je suis mal dans mes grolles et mal sur ma banquette Et ces putains d'bagnoles qui me ruinent la tête Pendant c'temps ma gonzesse baptise le plumard Et regarde ses fesses dans la glac de l'armoire De l'armoire Ben voilà la galère marné pendant huit plombes J'irai bien m'jeter une bière t't'à l'heure à la Rotonde J'appellerai ma gonzesse pour lui dire que tout baigne Mais non j'suis pas chez une maîtresse j'suis au bistrot et j't'aime J'lui dirai n'oublie pas ce soir d'acheter du vin Sinon y'en aura pas pour son p'tit dej' demain Demain
Zénobe Zénobe attend Il a quinze ans Il se pique et il se came Pique et pique et collegram Il sent qu'il dose Sa dose I' s'dit souvent Qu'c'est qu'un passe-temps Au milieu de cette vie Où tout n'est que pacotille Rien qu'du cinoche C'est moche Il prend sa neige Prend sa blanche neige Et tant pis si le temps s'enfuit Zénobe attend Il a vingt ans Et pour s'envoyer en l'air Cette aiguille, ce bout de fer Qui l'ankylose Il ose I' s'dit parfois Qu'ça lui pass'ra Mais c'est une sacrée belle fête Tous ces arbres à came en tête Qui font qu'la vie Dévie Il prend sa neige Prend sa blanche neige Et tant pis si le temps s'enfuit Zénobe attend Il a trente ans Souvent dans sa veine bleue Il enfonce tout ce qu'il peut Il continue Sa mue I' s'dit qu'la vie Elle est pourrie Quand il regarde devant Il voit des sables émouvants Et d'la poussière Derrière Alors il prend sa neige Sa dernière neige Et tant pis si la vie s'enfuit Et tant pis si la vie s'enfuit
La petite vague qui avait le mal de mer
Il était une fois une petite vague
perdue au milieu de l'océan, une petite vague de rien du
tout, quelques centimètres de haut, à peine plus large,
une petite vague insignifiante et anonyme, ressemblant
comme une goutte d'eau aux millions de petites vagues
voyageant sur les mers depuis des millions d'années au
gré des vents et des marées.Mais, vous vous en doutez,
si je vous raconte ici son histoire, c'est qu'elle était
différente de ses petites surs. Pas physiquement,
non, mais dans son petit cur de petite vague, cette
petite vague avait bien du vague à l'âme.Son papa et sa
maman étaient deux grosses vagues énormes et
rugissantes, deux magnifiques déferlantes qui s'étaient
croisées une nuit de tempête, l'abandonnant aussitôt née
à son destin de vaguelette, orpheline et désemparée.
Son père avait été plus tard emporté dans un ouragan,
s'était accroché à un cyclone et, dans un tonnerre d'écume
et de vent, était parti ravager les terres les plus
proches d'où il n'était jamais revenu.Sa mère, poussée
par un vent du nord, connut une fin tout aussi
aventureuse mais bien plus sympathique. Les courants
marins la portèrent jusqu'aux côtes d'un pays si chaud
qu'elle s'évapora, monta au ciel en millions de gouttes
d'eau et, après avoir voyagé dans un gros nuage lourd,
retomba en pluie sur des terres arides où, la vie,
absente par manque d'eau, revint bientôt.Depuis des siècles
qu'elle ondoyait à la surface de l'eau, avec pour seule
compagnie l'écume et le vent, avec pour seul horizon l'horizon,
pour seul spectacle celui du jour se levant et du soleil
couchant, la petite vague s'ennuyait à mourir et ne
supportait plus de vivre au milieu de l'océan. Bref, la
petite vague avait le mal de mer.Elle avait bien eu
parfois, des années auparavant, la visite de quelques
baleines venues percer la surface de l'eau, dans un grand
geyser d'écume et des milliards de gouttes d'eau s'éparpillant
dans le ciel comme une pluie de diamants, mais les
baleines chassées par les hommes avaient bientôt
disparu elles aussi.Sa vie s'écoulait monotone. Au fil
des jours de calme plat ou des nuits de tempête, la
petite vague attendait vaguement, sans trop y croire, un
miracle météorologique qui l'emporterait vers d'autres
cieux. Elle redoutait par-dessus tout ces nuits de pleine
lune où l'océan devient lisse comme un miroir, où même
le vent ne chante plus, où les vagues petites et grosses
s'aplatissent jusqu'à se confondre en une immense étendue
d'eau infinie, immobile etsans vie.Elle n'aimait pas non
plus la houle qui la faisait rouler, craignait les
ouragans qui la malmenaient et se méfiait des mers démontées
ou hachées qui risquaient de la séparer de ses amies,
les petites vagues insouciantes qui l'accompagnaient,
insensibles, elles, au vague à l'âme et au mal de mer.La
petite vague n'avait jamais vu un bateau.La petite vague
n'avait jamais vu un baigneur, ni le moindre pédalo,
jamais vu le bord de l'eau.La petite vague en avait par-dessus
la crête de passer sa vie à faire des vagues, la petite
vague écumait de rage de n'avoir jamais vu la plage.Elle
rêvait qu'un vent malin viendrait un jour la conduire
sur le sable doré d'une plage ensoleillée. Ah, enfin
pouvoir rouler, chanter, rebondir et me briser sur les
galets, songeait-elle, venir chatouiller les doigts de
pieds des enfants, entendre leurs cris à mon approche,
aller, venir, descendre et remonter, m'éparpiller au
milieu des coquillages, des algues et des petits poissons
argentés, me reformer en grondant pour de rire, en
faisant semblant d'attaquer, et repartir en emportant un
ballon oublié, et puis le ramener dans un tourbillon de
mousse et d'eau salée. La petite vague pensait aux
vacances qu'elle ne connaitrait jamais. Lorsqu'une grosse
vague, à quelques brasses d'elle, cria "Terre à l'horizon
!".La petite vague n'en crut pas ses oreilles. Elle
se précipita vers sa grande sur, se hissa sur son
dos et distingua vaguement à l'horizon la ligne sombre d'une
terre inconnue. Elle recommença l'opération une deuxième
fois, puis une troisième. À chaque fois, un élément
nouveau lui apparut. Une ville, un port, une plage. Les
courants maintenant la tiraient vers la côte, la
charriaient comme un fétu de paille poussé par le vent.
Elle sentit bientôt son eau se réchauffer et l'air
marin se charger des odeurs de la terre.Pour la première
fois de sa vie la petite vague respira le parfum des forêts,
des villes et des campagnes, des animaux et des hommes.Elle
en fut d'abord émerveillée, puis l'émerveillement fit
place à l'étonnement, enfin à la déception. Les
odeurs nauséabondes de gaz carbonique qu'elle découvrait
lui rappelaient étrangement celles des nappes de pétrole
qu'elle avait parfois croisées dans sa longue vie de
petite vague au milieu de l'océan.Et comme elle pensait
à cela, déterminée malgré tout à atteindre cette
plage dont elle rêvait depuis si longtemps, elle
rencontra une de ces nappes de pétrole dérivant au fil
de l'eau, au gré des courants, et s'y englua. Elle réussit
à s'en échapper après bien des efforts, aidée par un
courant ami qui l'emmena bientôt presque au bord de la
plage.Des enfants s'y amusaient. Des adultes allongés,
immobiles, semblaient y dormir, insouciants du soleil qui
leur brûlait la peau. Des chiens couraient, des mères
criaient après leurs enfants, des papas après maman,
des adolescents faisaient hurler leurs transistors et des
baraques à frites enfumaient le tout d'une odeur d'huile
chaude qui se mêlait à celle dont les corps étaient
enduits. La petite vague ralentit son avance. Elle
rencontra bientôt une eau saumâtre, mais personne ne
lui dit qu'il s'agissait des égouts de la ville qui se déversaient
là. Elle croisa quelques bouteilles en plastique, des
sacs poubelle, des détritus de toutes sortes, fut
presque coupée en deux par un gros monsieur rougeaud
hissé sur une planche à voile, avant de s'échouer
enfin au bout de son voyage, au bout de son rêve, sur le
sable grisâtre de la plage au milieu des tessons de
bouteille, des capsules de bière et des châteaux écroulés
des enfants agités.Jamais le vague à l'âme de la
petite vague n'avait été si grand. Ell" ne s'attarda
guère sous les pieds palmés. Quelques aller retour à
brasser les ordures et elle s'en fut dans le sillage d'un
bateau à moteur qui frôlait les baigneurs, rejoindre le
grand large qu'elle regrettait déjà d'avoir quitté.Alors
qu'elle longeait la côte, suivie de près par quelques
amies vaguelettes aussi déçues qu'elle par la fréquentation
des humains, elle entendit, venant de la terre, des
petits cris stridents, à peine perceptibles, presque des
sifflements. Ils n'avaient rien de commun avec les cris
des enfants braillards de la plage. La petite vague avait
déjà entendu ces cris quelques années auparavant, peut-être
quelques siècles. Un jour que des dauphins étaient
venus la frôler, courir sous elle, jouant dans son écume,
brisant sa crête de leurs ailerons pointus. Comment les
cris d'un dauphin pouvaient-ils venir de terre ? la
petite vague se dirigea de nouveau vers la côte, guidée
par les sifflements, comme un navire perdu dans la nuit
est guidé par la lueur du phare.Derrière une digue se
dressaient les hauts murs d'un Marineland. La petite
vague ignorait qu'on enfermait des orques et des dauphins
dans des bassins pour le plaisir des petits terriens.
Mais il ne fut pas nécessaire de lui faire un dessin:
elle comprit vite que des créatures marines étaient
prisonnières ici. A l'instant où, provenant
distinctement de derrière ces murs, les sifflements
reprirent, elle vit bondir en l'air un magnifique dauphin
gris argenté qui, après avoir semblé s'immobiliser une
fraction de seconde dans le ciel, retomba dans un grand
"splatch" dans son bassin-prison. Un tonnerre d'applaudissements
accompagna la pirouette.La petite vague n'avait pas rêvé.
Le dauphin, dans son bond majestueux, avait tourné la tête
vers la mer et son regard triste avait croisé le sien.
Ce regard avait lancé un S.O S. avait jeté une
bouteille à la mer avec comme message: "Viens me délivrer".La
petite vague, qui n'aimait pourtant pas faire de vagues,
décida aussitôt qu'il tallait agir Elle commença par
alerter toutes les petites vagues qui voguaient autour d'elle,
en leur recommandant d'alerter à leur tour toutes les
vagues des alentours jusqu'au fin fond de l'océan Bientôt
de grosses vagues arrivèrent, guidées par la rumeur qui
s'amplifiait en se coIportant de vague en vague, selon
laquelle une toute petite vague de rien du tout voulait
attaquer la côte pour délivrer un dauphin prisonnier à
terre.L'histoire fît grand bruit, le vent la fit voyager
de port en port et, devant l'importance de la tâche a
accomplir, devint bourrasque, vent de folie. vent de tempête
Le soir venu, I'océan entier était en furie. Des vagues
hautes comme des maisons, étaient venues prêter main-forte
à la petite vague qui en oublia du coup son vague à l'âme
et son mal de mer.Les vents, les courants et les vagues
se jetèrent alors sur la côte, et cette nuit fut une
nuit de tempête comme aucune nuit et aucune mer n en
connurent jamais Les hommes se cachèrent dans leurs
maisons volets fermés. Les bateaux de pêcheurs rentrèrent
bien vite au port où, malgré l'abri des digues et des
jetées, leurs amarres furent malmenées Mais le plus
fort de l'assaut du vent et de l'eau fut contre les murs
du Marineland. Des déferlantes vinrent s'y briser dix
fois, cent fois, des murs d'eau salée poussés par des
vents furieux et des courants déchaînés vinrent en lézarder
les fondations et en briser le faîte, jusqu'au moment où,
dans un grand fracas, les murs des bassins cédèrent
sous ces coups de boutoir Le reflux d'une vague
gigantesque entraîna avec lui les murs en miettes, la
vague suivante emporta avec elle dauphins, orques,
otaries et autres morses tous ces mammifères marins désormais
libres de regagner leur élément naturel, I'océan
immense, la liberté.Presque aussitôt, le vent tomba et
la mer se calma. La tempête avait duré quelques heures
et n'avait finalement fait d'autre ravage que sur les
murs de cette prison désormais vide. La petite vague
repartit au large avec ses grandes surs qui bientôt
se calmèrent, s'arrondirent puis s'aplatirent jusqu'à
ne plus devenir qu'un léger clapotis à la surface de l'eau.Les
dauphins s'éloignèrent aussi de la terre et disparurent
a l'horizon, d'où ils ne revinrent jamais. Si un jour, en mer, tu vois passer un banc de dauphins, comme il arrive souvent qu'ils viennent, peu rancuniers envers les hommes, jouer le long de l'étrave des navires, regarde bien derrière eux, dans leur sillage tu verras toujours une petite vague qui les accompagne, une petite vague insouciante et joyeuse. une petite vague amoureuse des animaux libres dans l'océan, une petite vague qui n'a plus de vague à l'âme et plus de mal de mer. |